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Le courage de la prudence

« Je n’ai pas le temps de lire ou d’écouter les commentateurs et tous ceux qui ont un avis. Je dois travailler, m’occuper de nettoyer l’hôpital, de prendre le bus et de ne pas choper ce virus ni le transmettre et de rentrer chez moi pour aimer ma famille. » Cette travailleuse invisible, se lève à 5 heures, quatre jours par semaine, prend le premier bus en circulation au pied de son bâtiment et l’amène du quartier vers le centre hospitalier où elle travaille. Le courage est là, dans cette quotidienneté, dans cette mobilisation individuelle qui s’engage pour les autres. « Deux traits caractérisent le courage : la capacité à dépasser la peur et à affronter les plus grands dangers d’une part ; la capacité à supporter les souffrances et à montrer patience et fermeté face à l’adversité, d’autre part. » (M. Canto-Sperber, 2004). Cette travailleuse invisible incarne tant de personnes qui n’ont pas cessées d’agir comme d’ordinaire pour que la vie ne chavire pas dans le chaos. La constance de leurs actions s’érige en résistance et nous rappelle que le courage est une vertu qui prend sa genèse dans le mot « cœur ». Pour ces gens-là, affronter le monde avec courage c’est le pratiquer chaque jour, dans une continuité rythmée par l’inquiétude, la servitude et le devoir, loin de tout commentaire, à l’ombre des paroles parlées qui ont autant de sens que leur immédiateté. Chaque invisible exprime la fatigue de devoir rester concentrer sur chaque tâche, chaque acte et de les envelopper d’un maximum de prudence pour redonner le sens plein à l’essentiel de ce qui est fait. « Rien de trop. Tout bien est lié à la juste mesure » proclamait Chilon, sage présocratique dans l’agora grecque. L’exigence de ne pas trop faire, de ne pas trop dire, impose un courage qui ne peut se perdre dans les flux d’intentions et dans les mouvements incessants d’une société liquide (Zigmund Bauman). Les travailleurs du quotidien l’expérimentent à chaque nouvelle journée qui commence, sans certitude, sans évidence. Leur volonté inscrit leur ordinaire dans une prudence continue, pour avancer, ne pas lâcher, en accordant à chacun de leurs gestes une très grande précision et une extrême attention pour faire ce qu’ils ont à faire. Le paradoxe de leur courage est quand n’en ayant pour eux ils en ont pour les autres, même pour ceux qui les ont dénigrés et, qui sait, continueront à le faire. Par leurs actions individuelles, ils résistent à la disparition de la vie commune. Par leur courage prudent, ils rendent effectif le bien commun, anonymement, sans tribune, sans commentaire. En faisant, seulement en faisant.

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